La magie des ateliers d'écriture
Voilà deux ans, sous les conseils d'une amie, j'ai commencé à participer à un atelier d'écriture non loin de chez moi. Cela faisait longtemps que j'en avais envie mais que les viscissitudes de la vie m'en empêchaient (et que je les laissais faire (vous connaissez peut-être cette situation...)). Bref.
Un nouveau champ des possibles s'est alors ouvert à moi. Un champ que j'avais laissé de côté trop longtemps, que j'avais oublié, délaissé. Pas un poème écrit en 14 ans, quelques ébauches d'histoires mais rien de plus, rien de concluant.
La magie des ateliers d'écriture a alors opéré, me permettant de dédier un temps à l'écriture, une parenthèse dans ma vie alors trop remplie, et d'y être obligée. Il y a un temps imparti, les autres participants s'y collent, une consigne claire : pas moyen de se défiler dans ces ateliers !
Depuis le jour où j'ai passé la porte du petit salon de thé où nous nous rencontrions, je n'ai plus lâcher la plume (par intermittence, j'entends !), au point de quitter le fonctionnariat et le professorat pour vivre de cette envie qui bouillait en moi mais ne s'exprimait plus.
Je vous livre aujourd'hui un des textes que j'ai écrits durant ces séances.
Un exemple de consigne d'écriture
L'animatrice nous a lu un fait divers. Un pas trop compliqué, pas trop tiré par les cheveux ni sensationnel. Il s'agissait d'un sans-abri qui s'était rendu dans un grand restaurant de Lyon et était parti sans payer la note (environ 1000 €, si ma mémoire est bonne).
Elle nous a ensuite demandé de piocher un petit papier. Dessus : le nom d'une autre personne qui aurait pu être présente durant la scène. À nous alors de rédiger cette scène selon le point de vue de ce nouveau personnage. Je suis tombée sur "un client du restaurant". Et voici ce que ça a donné :
Ma nouvelle : "Le panache"
J’étais attablé, enserré, comme attaché, entre ma rugueuse belle-mère, mon beau-père peu amène et ma femme trop affable qui comblait son vide par un déversoir de mots. C’est notre grand tralala du lundi soir : un repas bourgeois en « famille » dans le restaurant le plus cher de Lyon, « La fourchette d’or ». Il porte d’ailleurs bien son nom : on ose à peine toucher les couverts. La lumière pleut, faisant étinceler toutes les dorures d’une décoration art déco. On se croirait dans un des salons de la reine Catherine II de Russie. Pas question de rire ici, de chanter ou de boire un peu trop. Pas de tolérance pour le moindre écart ou éclat. Il faut maintenir l’étiquette, quoi qu’il en coûte. Comme si personne ici ne se retrouvait tous les matins sur son trône à couler un bronze.
L’ennui de ma vie me rattrapait. Je sombrais dans la morosité, allais piquer du nez dans mon assiette de homard farci aux truffes et oursins quand, tout à coup, un homme est entré dans le restaurant. Il était impeccable, dans un costume qui paraissait fait pour lui. Et pourtant, il tranchait dans ce décor de cols blancs collés montés et culs serrés. Comme s’il transpirait, eh bien… le panache. Il s’est assis à la table qui lui convenait, comme ça, sans rien demander. Ma femme alignait les banalités, moi les allers-et-venus robotiques de ma fourchette – d’or, bien sûr – entre mon assiette et ma bouche, ne pouvant détacher mon regard de cet homme. Il s’est rapidement écrié : « Serveur ! Champagne ! » Celui-ci s’est exécuté, n’osant pas même se permettre un regard d’étonnement. Les autres clients, eux, ont tous redressé la tête. Deux secondes de silence. Puis le grand tralala a repris.
L’inconnu détonant a enchainé les commandes, se bâfrant, s’extasiant avec force interjections d’admiration gustative. L’inverse de la discrétion bourgeoise qui se croit anoblie par ses privilèges financiers. L’inverse de l’étiquette qui m’étouffait tant, moi le prolétaire parvenu promu par un beau mariage avec une blonde bien choisie. Et puis, il s’est levé, glissant un « Au revoir à tous » avec un petit salut de la main, et il est parti. A-t-il même payé sa note ?
Dès qu’il est sorti, je les ai entendus, à toutes les tables voisines, baver leur indignation. Vraiment, ce n’était plus ce que c’était. Les gens ne savaient plus se tenir. On laissait entrer n’importe qui ! Chez nous ! Comment être tranquilles dans des conditions si déplorables ? Et je me suis pris à rêver : secouer ma belle-mère, hurler sur mon beau-père, prendre ma femme, là, sauvagement sur la table, devant tout le monde, puis les laisser là, dans leurs beaux couverts dorés, le cœur creux, l’âme vide et le corps mort. Reprendre ma vie, l’habiter enfin, rompre ma destinée au gré du fruit de ce hasard. Mais j’ai trinqué avec eux, j’ai opiné à leurs plaintes dégueulasses, j’ai courbé l’échine sous le poids de ma lâcheté. Décidément, le panache n’est pas l’apanage des riches.
Annaig Collias, février 2020
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